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Samuel
Taylor Coleridge est l’une des grandes figures du
romantisme britannique avec Wordsworth, Byron, Keats, Shelley, etc. Ses
fréquents et profonds exercices d’introspection, dont témoignent ses Notebooks, le font ranger parmi les
« précurseurs » de la psychanalyse [1] qui lui doit, par exemple, la
notion de willing suspension of
disbelief (suspension consentie de l’incrédulité), utile dans
la clinique.
Très tôt Coleridge comprend qu’il se tient au bord de la folie. Il
souffre également de multiples troubles somatiques (rhumatismes,
douleurs intestinales, conjonctivite, asthme) que certains auteurs
attribuent à un état hypocondriaque, mais qui lui valent une solide
dépendance à l’opium et à l’alcool.
Dans les années 1811-1812, Coleridge qui atteint la quarantaine, vit à
Londres, seul et désargenté. Dans ses Notebooks
le poète porte un regard amer sur sa vie et son état de santé. Il y
avance nettement la notion de psycho-somatic.
Mais ce qu’il y a de tout à fait fascinant, et romantique, c’est que le
mot psycho-somatic restera
ignoré des médecins et
des psychanalystes, caché avec le
carnet qui
l’a recueilli, pendant une centaine d’années, dans un
recoin de bibliothèque.
C'est
une étudiante canadienne qui va exhumer les carnets intimes de
Coleridge, et ce signifiant si longtemps oublié. Kathleen Coburn, 25
ans, étudie la littérature anglaise à l’université
de Toronto. En 1930, elle écrit sa thèse sur Coleridge et s’intéresse à
l’influence de la philosophie allemande sur le penseur britannique.
Pendant l’été, elle se rend à Oxford et prend contact avec les
descendants de Coleridge, à Ottery St Mary, le village qui l’a vu
naître, dans le Devon, au sud-ouest de l’Angleterre.
Elle est accueillie par Geoffrey Coleridge dans sa grande demeure de
Chanter's House. L’arrière-arrière-petit-fils du grand-frère de S. T.
Coleridge éprouve une grande aversion pour les universitaires,
« cette bande de pédants ». Il poursuit : « Le vieux Sam
était une sorte de poète, vous savez, il n’a jamais rien mis en
pratique ce qui n’est bon pour personne, en fait la famille ne le tient
pas en grande estime, on en a même un peu honte… Comment une jeune
fille comme vous peut-elle perdre son temps avec ce vieux galeux, c’est
impensable ! Au moins, j'en connais un bout sur la viande de
boucherie… ». Il lui permet néanmoins d’examiner la collection de
manuscrits qu’il tient de son ancêtre, plus de dix mille pages.
Kathleen Coburn va y consacrer sa vie tout entière. Le premier volume
des Notebooks paraît en 1957
; le dernier en 2002, onze ans après sa mort.
L’ouvrage qui nous intéresse est intitulé « Inquiring Spirit : A New
Presentation of Coleridge from His Published and Unpublished Prose
Writings », il est paru en 1979 [2]. Page 67 :
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S.
T. Coleridge (1772-1834).
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Une page d'un Notebooks
de Coleridge.
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Kathleen Coburn
(1905-1991).
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« …Bien qu’il y ait dans de
nombreux cas une répugnance de peur, et bien
que (si je peux emprunter ces vers au poète Coleridge — voyez le poème
intitulé ‘Mad Ox’ dans les
Sybilline Leaves) |
«…Tho’ Rage is in many cases a
Revulsion of Fear, and tho’ (if I may borrow the words of the Poet
Coleridge—see the poem entitled ‘Mad Ox’ in the Sybilline Leaves [3]) |
Si vous étiez un rat d’une taille démente
Sachant qu’un simple rat peut vous coller la
peste —
Il n'y a pas de philosophe mais vois,
que la peur et la rage sont une maladie :
Bien que ceci peut brûler et cela glacer
Peur et rage sont comme la fièvre — |
Should you
a Rad to madness teize
Why even a Rat might plague ye—
There’s no Philosopher but sees,
That Fear and Rage are one Disease:
Tho’ this may burn an that may freeze,
They’re both alike the Ague— |
bien que je prétende que
la peur et la rage ne sont pas si rarement
associées au froid et à la chaleur, témoignant de la même fièvre —
encore et néanmoins, je suis fortement enclin à considérer la peur
comme une affliction de la reproduction ou de la première et la plus
lointaine fonction de la vie (vis
vitae Vegeta) et à un accident de
l'assimilation et du système digestif — et que la perturbation du
système musculo-artériel et du système digestif. Je pense que les
intestins, et les nerfs abdominaux du siège principal. Mem. La timidité
des animaux herbivores...
... La peur est cruelle et quand la colère imite les signes extérieurs
de la peur, nous sommes choqués et n’attendons rien de bon d'une
combinaison si peu naturelle. Il y a toujours un motif de peur dans la
vengeance préméditée…
… La joie et la tristesse, l’espoir et la peur, etc., ont glissé hors
de
leur collier, et ne courent plus par paires, sous ma garde ou retenus
dans la niche de ma psycho-somatique ologie…
… Cette expérience [sa tentative de systématiser son argument] a raté…
Et ce n’est pas seulement un échec — mais une erreur, et
c’était, à y regarder de plus près, le début de pulsions spontanées,
simplement corporelles (ψιλο-σωματιχἀ,
οὐ μή,
[peut-être όύχ ?]
ὢς, ἔδει, Ψυχο-ϛοματιχά),
et qui n’arrivent jamais à la conscience —
psilosomatique, et non ou psycho-zoïque...»
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tho’ I say Rage and Fear are not seldom
seen as the Cold and Hot Fit of
the same Fever—yet and notwithstanding, I am strongly inclined to
consider Fear a an [a accident crossed out, product crosses out]
affection of the Reproductive or firs ans lowest Function of Life (vis
vitae vegeta) and an accident of the assimilative an digestive
system—and that the disturbance of the musculo-arterial system—and of
the Digestive System I should think the Bowels, and abdominal nerves
the principal seat. Mem. The timidity of the herbivorous animals…
…Fear is cruel and when anger puts on the outward marks of Fear, we are
shocked and expect no good from so unnatural a combination. There is
always a ground of Fear in premeditative Revenge…
...Joy and Grief, Hope and Fearm &c., have slipt out their collar,
and no longer run in couples, under my whipping-in or from the kennel
of my Psycho-somatic Ology....
...This experiment [his
own attempt to systematize his argument] is a miss... And not only a
failure — but an impropriety, and on oversight was the introduction of
self-impulsions that are merely corporeal, (ψιλο-σωματιχἀ, οὐ μή,
[possibly όύχ ?] ὢς, ἔδει, Ψυχο-ϛοματιχά)
and never arrive at
Consciousness — psilosomatic, and not or psycho-zoïc...»
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1
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Françoise Moreux, Coleridge et de Quincey face à
l'inconscient, Romantisme, 1977, vol 7, n°15, pp. 45-56, voir ici. |
2
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University of Toronto
Press. |
3
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Strophe XI de la ballade « Recantation:
Illustrated in the Story of the Mad Ox », 1799 (Abjuration : comme le
montre l'histoire du bœuf fou). |
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