ACCUEIL | Archives pour la psycho-somatique | HISTOIRE | Dernière mise à
jour : 31 mai 2016 |
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Freud et la psycho-somatique | ||||||||||||||||||||||
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La
relation de Sigmund
Freud à ce que nous appelons aujourd'hui la psycho-somatique pourrait
faire l'objet d'une thèse, délicate à organiser toutefois. Freud n'a
jamais fait usage
de ce terme dans son œuvre. Il appartenait au vocabulaire d'une
psychiatrie déjà ancienne [1],
celle d'Heinroth,
et sans doute sa signification en allemand ne s'éloignait
guère au début du XXe siècle de ce que disait l'Italien
Del Greco de «
l'individualité psycho-somatique »
: « les habitudes, l'éducation, les
conditions domestiques » du malade en traitement à l'hôpital
psychiatrique, son « tempérament » (voir notre page Étymologie).
Le fondateur de la psychanalyse par ailleurs observe avec distance (une distance dédaigneuse ?) les efforts de ses élèves, des médecins, qui soupçonnent une origine psychique aux affections organiques de quelques-uns de leurs patients. Freud sépare franchement les atteintes organiques des conversions hystériques (voir « Dora » et « Irma») [2]. Les premières appartiennent au domaine de la médecine — et lui-même, dans son activité de médecin, les traite comme telle —, les secondes vont participer de la fondation de la psychanalyse. On sait les effets qu'auront la découverte freudienne et ses conséquences pour les sciences humaines et la médecine. Et cependant, il est indéniable que Freud dans ses écrits jette un pont entre l'histoire psychique de certains patients et les troubles organiques, avec lésions, dont ils souffrent. Une première approche, de biais, des rapports qu'entretient la théorie freudienne avec la médecine d'organe consiste à en répertorier les mots-clés et de quelle manière ils ont servis d'appui aux discours contemporains sur la psycho-somatique. Nous nous en contenterons provisoirement. |
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Hystérie 1893. « Quelques considérations pour une étude comparée des paralysies motrices organiques et hystériques » [1]. Cet article de Freud se trouve à la charnière entre l'observation neurologique et l'hypothèse psychique qui sera affirmée dans l'article princeps de mars 1896, L'hérédité et l'étiologie des névroses [2]. Les « Considérations » de 1893 signalent de nombreux points qui peuvent fonder une théorie de la psycho-somatique : la faculté que présente l'hystérie de simuler les affections organiques (page 47) ou, par exemple, la notion de lésion que Freud reprend à son compte pour constituer la « lésion fonctionnelle ou dynamique » propre à l'hystérie (page 56). Notons que Freud a publié de nombreux articles de neurologie, entre 1884 et jusqu'en 1900 (Hémorragie cérébrale avec des symptômes basaux focaux indirects dans un cas de scorbut, 1884 ; Étude clinique de l'hémiplégie cérébrale chez l'enfant, 1891 ; etc.) L'ensemble de ces études a été édité par Mark Solms [3] qui veut tendre une passerelle entre l'entreprise freudienne et les travaux de neurologie contemporains. Dans une autre perspective, on peut consulter l'article de Yorgos Dimitriadis Existe-t-il des affections psychosomatiques du cerveau ? [4]. |
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Névrose actuelle La névrose actuelle s'inscrit dans la lente et difficile tentative de Freud pour définir les différentes névroses par rapport à la nosographie de son époque, en regrouper certaines dans une catégorie plus large, chaque fois décrire leurs manifestations, et mettre en évidence leur étiologie. La névrose actuelle (Aktualneurose) est introduite en 1898 dans l'article « La sexualité dans l'étiologie des névroses » [1]. Freud poursuit son exploration au cours de la 24e des Conférences d'introduction à la psychanalyse (1918) [2] et y reste attentif jusqu'à Inhibition, symptome, angoisse en 1926 [3]. Les névroses actuelles — encore une difficulté de traduction — émanent « de l'actualité présente du sujet, et non de son histoire infantile » [4] et restent « infécondes pour la psychanalyse » [5]. Mais le mieux est de consulter les chapitres « Névrose » et « Névrose actuelle » du Vocabulaire de la psychanalyse [6]. « Le concept de névrose actuelle tend de nos jours à s'effacer de la nosographie », signalent J. Laplanche et J.-B. Pontalis qui ajoutent que « l'ancienne notion de névrose actuelle conduit directement aux conceptions modernes sur les affections psychosomatiques ». En effet, les disciples de l'École de psychosomatique de Paris voient un lien entre la névrose actuelle et certains troubles psycho-somatiques : « Nous voulons d'emblée poser qu'il existe, pour nous, une continuité de conception entre les névroses actuelles de Freud et les névroses mal mentalisées des psychosomaticiens [sic], de même entre les psychonévroses de défense de Freud et les névroses bien mentalisées des mêmes psychosomaticiens [sic] » [7]. Néanmoins quelques textes majeurs de cette période nous donnent des indications sur la place qu'attribue Freud aux phénomènes organiques. Parmi ceux-ci, et singulièrement dense : « Qu'il est justifié de séparer de la neurasthénie un certain complexe symptomatique sous le nom de "névrose d'angoisse" » [8]. Freud y indique les perturbations somatiques d'origine psychique : troubles de l'activité cardiaque et de la respiration, accès asthmatiformes, accès de sudation, tremblements, fringales, vertiges, diarrhées, etc. (p 19). Il cite plus loin le cas d'un homme victime d'une attaque cardiaque à la nouvelle de la mort de son père (p 29) [9]. Dans l'article de 1895, il associe également la névrose d'angoisse chez l'homme à la pression exercée sur les terminaisons nerveuses de la paroi des vésicules séminales qui aboutit à l'écorce cérébrale, où elle se manifeste comme excitation psychique (p 32). |
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Migraine On lira avec intérêt le manuscrit I (1895), intitulé Migraine, points établis, pp 194-196 des Lettres à Wilhelm Fliess (Puf, 2006), qui voit Freud se plonger dans une profonde investigation biologique. |
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Irma 1900, L'interprétation des rêves [1]. « Dans le courant de l’été 1895, j’ai eu l’occasion de soigner par la psychanalyse une jeune femme de mes amies, [...]. Le traitement a abouti à un succès partiel : la malade a perdu son anxiété hystérique mais non tous ses symptômes somatiques ». Le rêve de l'injection faite à Irma a donné lieu à de multiples enquêtes et commentaires et quantités d'interprétations. Moment crucial de l'élaboration de la théorie du rêve, il intéresse néanmoins le point de vue psycho-somatique. Il y est question notamment de la position délicate qu'occupe Freud comme psychanalyste auprès des médecins (Wilhem Fließ, Ignaz Rosanes, Robert Gersuny) et comme médecin auprès de sa patiente Emma Eckstein. S'en déduit l'épineux dilemme du diagnostic. On ne peut négliger enfin les hypothèses organiques, certes controversées, de W. Fließ [2] et son apport théorique à la psychanalyse encore débutante. |
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Prévenance somatique C'est dans Fragment d'une analyse d'hystérie (Dora, 1905) [1] qu'apparaît la notion de « somatisches Entgegenkommen ». L'histoire de Dora présente un si grand intérêt du point de vue psycho-somatique que nous avons préféré en donner plus loin une présentation spécifique (ces pages sont encore en travaux). Signalons que le long article de Freud servira d'appui aux fondateurs de l'École de Psychosomatique de Paris [2]. Plus récemment (2002), Claude Smadja y décèle une annonce « quasi prophétique » de la découverte de la « pensée opératoire en 1962 » [3]. L'expression « somatisches Entgegenkommen » a été d'abord traduite par « complaisance somatique » (M. Bonaparte et R. Lœwenstein, 1928), puis par « prévenance somatique » (F. Kahn et F. Robert, 2006). La seconde traduction est sans doute plus respectueuse de l'esprit du texte, Entgegenkommen signifiant, à la lettre, « aller à la rencontre de ». |
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Organe 1910. On trouve à la fin de l'article « Le trouble psychogène de la vision » [1] une seconde référence au somatisches Entgegenkommen que Freud associe à « la part constitutionnelle de la disposition à contracter des troubles pathologiques psychogènes et névrotiques ». Mais l'article de 1910 avance plusieurs points importants concernant la relation de l'organe à la pulsion sexuelle : « D'une façon générale ce sont les mêmes organes et les mêmes systèmes d'organes qui sont à la disposition des pulsions sexuelles et des pulsions du moi. [...] Le moi a perdu sa domination sur l'organe qui maintenant se met entièrement à la disposition de la pulsion sexuelle refoulée. » (P 171). On retiendra également cette mise en garde de Freud : « La psychanalyse n’oublie jamais que le psychique repose sur l’organique, même si son travail s’arrête à ce fondement [Grundlage] et ne peut se poursuivre au-delà. » (P 172). |
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Paul Federn (Vienne 1878-New York 1950), Ici en 1911 au congrès
de Weimar, quatrième rang au-dessus de Freud. Médecin interniste et
psychanalyste [2], Paul Federn, l'un des premiers
élèves de Freud, s'est plus fait connaître par ses contributions au
traitement des psychoses et à la théorie du moi [3]. Son
apport à la théorie à la psycho-somatique se limite à l'exposé de 1913,
sauf un article de 1937.
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Une première tentative 1913, séance du 8 janvier de la Société Psychanalytique de Vienne [1]. L'exposé de Paul Federn intitulé « Un exemple de déplacement de libido pendant la cure » évoque le cas d'un patient asthmatique. Federn situe l'origine de la maladie dans « le déplacement de la libido qui s'était fait de la zone génitale sur la zone orale » et que le traitement psychanalytique aurait permis de « réinverser ». Freud dans son commentaire relève que « ces névroses organiques s'alignent sur l'hystérie, certes, mais doivent être délimitées par rapport à celle-ci. Les pressions érogènes sur les organes l'emportent sur le mécanisme psychique, forçant la névrose à se manifester sous des formes organiques ». On notera que l'exposé de P. Federn installe les bases de la future psycho-somatique avec la notion de déplacement de la libido vers une autre fonction du corps (ici la respiration) et sur plusieurs autres notions décisives (voir notre page Naissance d'une théorie. Les éditeurs des Minutes soulignent en bas de page : « Ce compte rendu de séance fait apparaître une première tentative pour distinguer une maladie psychosomatique d'une maladie hystérique ». |
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Une difficulté de traduction On sait toute la difficulté que nous rencontrons à traduire de l'allemand der Trieb et der Drang. Voir ici un entretien avec Marthe Robert. Voir également Lacan, L'éthique de la psychanalyse, 1986, Seuil, séance du 13 janvier 1960, « Les pulsions et les leurres », page 108. |
Concept limite C'est dans Pulsions et destins des pulsions (1915) [1] que se trouve ce passage de Freud souvent cité : « Si, en nous plaçant d'un point de vue biologique, nous considérons maintenant la vie psychique, le concept de "pulsion" nous apparaît comme un concept limite [Grenzbegriff] entre le psychique et le somatique [...] » (page 17). La notion de pulsion occupe une place centrale dans la théorie psychanalytique. Mais si l'on se place du « point de vue biologique » et si l'on suit le fil freudien, on peut être arrêté par d'autres passages du Triebschicksale : « Par source de la pulsion, on entend le processus somatique qui est localisé dans un organe ou une partie du corps et dont l'excitation est représentée dans la vie psychique par la pulsion. Nous ne savons pas si ce processus est régulièrement de nature chimique ou s'il peut aussi correspondre à une libération d'autres forces, mécaniques par exemple. L'étude des sources pulsionnelles déborde le champ de la psychologie » (p 19). Plus loin, Freud signale parmi les quatre « destins » des pulsions « le retournement sur la personne propre » (p 24). Et p 33 : « Dans les pulsions auto-érotiques, le rôle de la source organique est si déterminant que, d'après une hypothèse séduisante de P. Federn (1913) et L. Jekels (1913), la forme et la fonction de l'organe décideraient de l'activité et de la passivité du but pulsionnel. [2]» |
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Aucun sens 1918. « Mais les symptômes des névroses actuelles, serrement de tête, sensation douloureuse, état de stimulation dans un organe, affaiblissement ou inhibition d’une fonction, n’ont aucun "sens", aucune signification psychique ». C'est sans doute en s'inspirant de la 24 ième Conférence d'introduction à la psychanalyse (« La nervosité commune ») [1] que les fondateurs de l'École de psychosomatique de Paris ont affirmé que « le propre du symptôme psychosomatique est d'être bête » [2]. Il semble que l'assertion de M. de M'Uzan ait perdu aujourd'hui de sa vigueur. Elle n'en pose pas moins la difficile question du « sens » du symptôme, et de la définition même du symptôme dans le champs psycho-somatique. On notera par ailleurs cette remarque de Freud, dans la même conférence de 1918 : « L'édifice doctrinal de la psychanalyse que nous avons créé est en réalité une superstructure [Überbau] qui doit être assise un jour sur ses fondations organiques ; mais nous ne les connaissons pas encore » (p 492). |
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Un
saut énigmatique Les auteurs qui s'occupent de psycho-somatique évoquent souvent « le saut mystérieux du psychique dans le somatique » dont il existe deux occurrences dans l'œuvre freudienne. Freud en 1909 rapproche hystérie et névrose obsessionnelle dans L'homme aux rats : « [...] la langue de la névrose de contrainte, n'est pour ainsi dire qu'un dialecte du langage hystérique [...]. Avant tout, il manque au langage des obsessions ce bond du psychique [Sprung aus dem Seelischen] à l'innervation somatique — la conversion hystérique —, qui échappe toujours à notre compréhension » [1] Il précise sa pensée dans ses Conférences d'introduction à la psychanalyse (1915-1917) : « Mais la névrose obsessionnelle, dont est absent ce saut énigmatique [rätselhafte Sprung] du psychique au corporel, nous est à proprement parler devenue, par les efforts de la psychanalyse, plus transparente et plus familière [heimlicher] que l'hystérie, et nous nous sommes aperçus qu'elle fait apparaître sous un jour beaucoup plus cru certains caractères extrèmes de la névrose » [2]. Le saut énigmatique qu'envisage Freud ici concerne spécifiquement la conversion hystérique. [3] |
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Masochisme 1919. « Un enfant est battu » [1] : « le fantasme est à un haut degré teinté de plaisir et s'est empli d'un contenu significatif [...]. Sa formulation est donc maintenant : je suis battue par le père. Il a indubitablement un caractère masochiste. Cette seconde phase est la plus importante de toutes et la plus lourde de conséquences. » À partir du texte freudien, et de son commentaire par Lacan, quelques rares psychanalystes ont noté que le phénomène psycho-somatique « participe d'une jouissance auto-érotique proche du sadisme originaire ou du masochisme érogène (l'Ursadismus de Freud) « [...], jouissance érotique s'articulant sur un fantasme où est impliqué le père. » [2]. |
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Le principe de plaisir Dans l'un de ses textes majeurs, Au-delà du principe de plaisir (1920) [1], Freud précise la notion de Lustprinzip qui parcours son œuvre depuis son Esquisse d'une psychologie scientifique (publiée après sa mort, en 1950) [2]. Il s'accorde visiblement aux pionniers de la psycho-somatique, ses élèves, dont Federn qui cherche l'origine de certains troubles somatiques dans le passage défectueux du principe de plaisir au principe de réalité (voir notre page Naissance d'une théorie). Freud : « Les impulsions sexuelles cependant, plus difficilement "éducables", continuent encore pendant longtemps à se conformer uniquement au principe du plaisir, et il arrive souvent que celui-ci, se manifestant d'une façon exclusive soit dans la vie sexuelle, soit dans le moi lui-même, finit par l'emporter totalement sur le principe de la réalité, et cela pour le plus grand dommage de l'organisme tout entier ». |
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Un
avenir Nous sommes en 1922, et l'on voit avec quelles réticences Freud envisage l'apport de la psychanalyse au traitement des affections somatiques, qu'il place en annexe de son champ d'action principal, l'hystérie et la névrose obsessionnelle « sans compter toutes les sortes de phobies, les inhibitions, les anomalies caractérielles, les perversions sexuelles et les difficultés de la vie amoureuse ». Il poursuit : « Selon les indications de quelques analystes, le traitement analytique des atteintes organiques franches [großer] n'est pas non plus sans avenir [aussichtlos] (Jelliffe, Groddeck, Félix Deutsch), puisqu'il n'est pas rare qu'un facteur psychique prenne part à la genèse et à la persistance de ces affections » [1]. Sur la distance que prend Freud avec le corps, et son propre corps, il faut lire l'article d'André Haynal « En marge de la psychosomatique, Freud sa maladie et nous » [2]. L'année suivante, en 1923, Freud apprend qu'il souffre d'un cancer avancé du maxillaire supérieur (voir notre page Félix Deutsch). On peut remarquer qu'il note en 1924 : « L'individu tout entier, lui aussi, est bien, dès sa naissance, destiné à mourir, et sa constitution organique contient peut-être déjà l'indication de ce dont il mourra. Il n'en reste pas moins intéressant de suivre la façon dont le programme inné est exécuté, et la manière dont les coups du sort [c'est nous qui soulignons] tirent parti de la disposition » [3]. |
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Le symptôme d'une névrose « Dostoïevski et le parricide » [1] (1928) reste le texte de référence pour qui s'intéresse aux aspects psycho-somatiques de certaines épilepsies. Freud interprête le mal dont souffrait l'auteur des Frères Karamazov, cette « prétendue épilepsie », comme « le symptôme de sa névrose, qu'il faudrait alors classer comme hystéro-épilepsie. » (Page 164). S'impose alors l'hypothèse œdipienne : « Nous connaissons le sens et l'intention de telles attaques de mort. Elles signifient une identification avec un mort, une personne effectivement morte ou encore vivante, mais dont on souhaite la mort. [...] On a souhaité la mort d'un autre, maintenant on est cet autre, et on est mort soi-même. La théorie psychanalytique affirme ici que, pour le petit garçon, cet autre est, en principe, le père et qu'ainsi l'attaque — appelée hystérique — est une autopunition pour le souhait de mort contre le père haï. » (Page 167). |
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Une autre difficulté La Triebentmischung oppose les traducteurs : « désintrication de pulsions » (A. Berman, Gallimard, 1936, page 143), « désunion de pulsions » (Payot, 1981, p 255 ; R.-M. Zeitlin, Gallimard, 1984, p 141 [5]), « démixtion pulsionnelle » (Puf, 1995, p 188) et « démêlement des pulsions » (J.-C. Capèle et D. Mercadier, La Dénégation, 2006, voir ici). L'anglais dit defusion of instincts. La traduction de 1936, « désintrication de pulsions », a recueilli un grand succès dans la littérature post-freudienne. Jean Hyppolite pourtant s'en tint à l'écart : « la Triebentmischung qui est une sorte de retour à l'état pur, de décantation des pulsions dont l'usage traduit très médiocrement le terme par : désintrication des instincts. » (Annexe au séminaire du 10 février 1954, Lacan J, Écrits, 1966, Seuil, p 886, note 1.) Lacan d'ailleurs se gardera d'employer le terme « désintrication ». Le signifiant « intrication » présente tout de même un certain intérêt. Il se dit en allemand Verschränkung et renvoie à la Quantenverschränkung (intrication quantique ; en anglais : quantum entanglement). Dans l'histoire de la physique quantique, le terme Verschränkung apparaît en 1935 dans un article du Viennois Erwin Schrödinger (« Die gegenwärtige Situation in der Quantenmechanik », Die Natürwissenschaft, décembre 1935 — notez la date —, vol 23, n° 50, p 844). La désintrication, dans cette perspective, offre peut-être à la psychanalyse une nouvelle métaphore. |
Démêlement
des pulsions La notion de démêlement pulsionnel (Triebentmischung) est introduite par Freud dans Le moi et le ça : « [...] nous supposons que l'attaque épileptique est le produit et le signe d'une désunion pulsionnelle » [1]. Freud s'y réfère une deuxième fois dans son texte « schopenhauerien », la 32e conférence de La nouvelle suite des leçons d'introduction à la psychanalyse (1932), « Angoisses et vie pulsionnelle » [2]. Celle-ci ouvre (incidemment ?) de larges perspectives à la psycho-somatique. Freud pourtant évoque encore avec une distance prudente « certaines études » (p135) qui nous ont enseigné « combien il est fréquent, dans des conditions pathologiques, qu'il se produise des régressions à des phases antérieures [il s'agit des phases de l'organisation libidinale, d'un point de vue nouveau] et nous ont appris que certaines régressions sont caractéristiques de certaines formes de maladies. Mais je ne peux traiter de cela ici. Un tel exposé aurait sa place dans une psychologie des névroses. » Plus loin : « Ce faisant les pulsions érotiques introduiraient dans l'association [Mischung] la multiplicité de leurs buts sexuels, tandis que les autres n'admettraient que des atténuations et des gradations de leur tendance monotonale [eintönigen Tendenz]. Avec cette hypothèse, nous ouvrons la perspective à des investigations qui pourront revêtir un jour une grande importance pour la compréhension des processus pathologiques. Car ces associations peuvent aussi se dissocier [zerfallen] et on peut attendre de tels démêlement des pulsions [Triebentmischung] les plus graves conséquences pour la fonction. Mais ces points de vue sont encore trop nouveaux. Personne n'a jusqu'à présent essayé de les exploiter dans le travail. » La leçon de 1933 comporte en outre des thèses très audacieuses. Freud, avec Abraham [3], y convoque l'embryologie du début des années 1930 (pp 136 et 143) et ouvre à la psycho-somatique une perspective morphogénétique [4], sans pour autant lâcher le fantasme et les théories sexuelles infantiles. Il aborde enfin la question de la guérison et de la vie elle-même, sous l'angle de la compulsion de répétition [Wiederholungszwang] et de la pulsion d'autodestruction [Selbstzerstörungstrieb] : « Singulière pulsion que celle qui s'occupe de la destruction de son propre foyer organique ! » (p 142). |
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Cette page a été mise en ligne le 1er mai 2014. |