ACCUEIL Archives pour la psycho-somatique | THÉORIES Dernière mise à jour : 5 octobre 2016


Naissance d'une théorie


FREUD ET LA PSYCHO-SOMATIQUE


Paul Federn
(Vienne 1871-New York 1950)
Les notices biographiques consacrées à P. Federn ne manquent pas [10] qui souvent signalent sa longue et loyale collaboration — 35 ans — avec Sigmund Freud. Quelques-unes des lettres que ce dernier adresse à son « étudiant » témoignent de l’attention qu’il portait à la médecine jusque tard : « […] vous qui êtes tellement plus médecin que moi » lui écrit Freud en juin 1929 [11]. Federn pratique la psychanalyse parallèlement à son activité médicale. En 1924, il publie avec son ami Heinrich Meng, un « manuel de médecine pour tous », suivi, deux ans plus tard, d’un « manuel de psychanalyse pour tous » [12]. Émigré à New York en 1938, il lui fallut attendre jusqu’en 1946 pour qu’un avocat découvre qu’ayant obtenu un diplôme de médecine avant 1914, il ne lui était pas nécessaire de repasser ses examens. Ainsi pouvait-il être admis à la New York Psychoanalytic Society (NYPS) et accéder à la formation des analystes. La NYPS, fondée par A. S. Brill en 1911, interdisait l’accès à la psychanalyse aux non-médecins. Federn, comme Freud, défendait fermement l’analyse profane (voir la lettre de Freud à Federn du 27 mars 1926, ici).
La première ébauche d'une théorie de la psycho-somatique est due à Paul Federn, et elle en constitue véritablement le socle. C'est un texte de quelques pages intitulé « Un exemple de déplacement de la libido pendant la cure » qui se présente sous deux formes : d'abord un compte-rendu d'une intervention à la Société psychanalytique de Vienne, rédigé par Otto Rank, daté du 8 janvier 1913 [1] et un article du même Federn, paru dans le Zeitschrift quelques mois plus tard [2] (voir notre page Freud et la psycho-somatique). Le texte n'est pas facile à déchiffrer (Freud lui-même se plaignait de ne pas comprendre les exposés de Federn) [3].
En résumé, il s’agit d’un patient âgé d'une quarantaine d'années souffrant d’un asthme depuis l’enfance. Federn souligne la force du lien œdipien qui l’attachait à sa mère — et la grande angoisse qui l’envahissait quand il s’en trouvait séparé. Il note également l’importance de la fonction olfactive dans le déplacement de la libido (Libidoverschiebung) depuis la zone génitale maternelle vers l’appareil respiratoire de l’enfant. Federn avance qu’au cours du traitement psychanalytique ce déplacement pathogène s'est
« réinversé » (rückgängig gemacht) provoquant l’apaisement des voies respiratoires de cet homme.
On retrouvera la notion de Libidoverschiebung chez Freud, l’année suivante, mais dans un contexte différent [4] Pour Federn, la libido se déplace depuis le corps jouissant de la mère vers une fonction du corps du patient, spécifique, non destinée à un usage sexuel, provoquant une lésion. C’est la question du corps de l’Autre (l’Autre, l’altérité au sens générique du terme) dans les phénomènes psycho-somatiques qui est avancée ici pour la première fois.
Pour Federn, le trouble somatique (l’asthme) de l’adulte, son patient, est dû au maintien des pulsions sexuelles à un stade infantile selon le schéma du principe de plaisir-déplaisir (Lust-Unlustprinzip), au lieu de se résoudre au principe de réalité. Le principe de plaisir parcours l’œuvre de Freud depuis l’Esquisse d’une psychologie (1895) [5] et trouvera son aboutissement dans Au-delà du principe de plaisir en 1920 [6].
On notera cet autre apport de Federn à une théorie de la psycho-somatique : le déplacement de la libido emprunte, dans ce cas d’asthme très singulier, une fonction connexe. Il s’agit ici de l’olfaction, qui « fixe la libido », et relie l’enfant à des processus archaïques, analogues au monde animal, conduisant à un attrait sexuel pour les sécrétions et les excrétions du corps.
Freud lui-même ne néglige pas l’importance de l’odorat dans ses études sur la sexualité au stade infantile, et fera plus tard également référence aux tous premiers moments du développement humain : « […] avec la verticalisation de l'être humain et la dévalorisation du sens de l'odorat, c'est l'ensemble de la sexualité qui
aurait été menacé de succomber au refoulement organique et pas seulement l'érotique anale », (Malaise dans la culture, 1929 [7]). Quelques-unes des théories psycho-somatiques les plus audacieuses profiteront de la voie qui leur était ouverte par Federn et Freud. D’autres propositions de Federn, telles que « la forte constitution sexuelle des asthmatiques » ne trouveront pas la même postérité.
Bien qu’il s’attache principalement au traitement des psychoses [8], Paul Federn, n’abandonnera pas pour autant la psycho-somatique. En témoignent les liens qu’il entretint avec les « pionniers », Georg Groddeck (1866-1934), Viktor von Weizsäcker (1886-1957) et Heinrich Meng (1887-1972) [9].

1
E. Federn, H. Nunberg (éd.), Les premiers analystes, Minutes de la Société psychanalytique de Vienne, 1983, t. 4, Gallimard, pp 167-172. L'original se trouve ici.
2
« Beispiel von Libidoverschiebung während der Kur », Internationale Zeitschrift für Ärztliche Psychoanalyse, 1913, volume 3, pp 303-306, voir ici.
3
Paul Roazen, La saga freudienne, Puf, 1986, p  241. On lira avec profit les pages très documentées que P. Roazen consacre à P. Federn.
4
Zur Einführung des Narzißmus, in Jahrbuch des Psychoanalyse, t. 6,  voir ici. (Pour introduire le narcissisme, trad O. Manonni, Payot, 2012).
5
Entwurf einer Psychologie (Esquisse d'une psychologie, voir ici).
6
Jenseits des Lustprinzips, Internationaler Psychoanalytischer Verlag, voir ici.
7
Das Unbehagen in der Kultur, Internationaler Psychoanalytischer Verlag. Malaise dans la culture, Payot, 1995, p 49 et ici p 34.
8
Ego Psychology and the psychoses, 1952, Basic Books, New York. La psychologie du Moi et les psychoses, Puf, 1979.
9
Ernst Federn, « 75 Jahre psychosomatische Medizin in Östereich » in Gesellschaftliche Entwicklungen und psychosomatische Medizin, Springer, 1989, pp 5-9, voir ici.
Le fils de P. Federn, Ernst Federn (1914-2007), fut un membre actif de la Gauche freudienne. Arrêté en mars 1938 par la Gestapo, il fut interné aux camps de Dachau puis de Buchenwald dont il ne sera libéré qu'en avril 1945. Éducateur, pédagogue, psychanalyste, il est le co-éditeur des Minutes (note 1).  Voir E. Federn, Témoin de la psychanalyse : de Vienne à Vienne via Buchenwald et les États-Unis, Paris, Puf, 1990.
10
Voir les pages que lui consacre Edoardo Weiss, Psychoanalytic Pioneers, New York/London, 1995, pp. 142-159, voir ici.
11
D. Bonnichon, N. Capart, F. Houssier, X. Vlachopoulou, « Freud consultant. Une lecture de la correspondance entre Freud et Federn »,  Revue Française de psychanalyse, 2015 vol 79. Voir ici.
12
Das ärztliche Volksbuch,  2 t, Hippokrates-verlag, Stuttgart. Das psychoanalytische Volksbuch, 2 t, même éditeur, 3e édition en 1939.




Cette page a été mise en ligne le 13 août 2016.